Consultez le rapport complet Consultez le communiqué de presse de la Ligue des droits et libertés Consultez le communiqué de presse de l'UQÀM Ce rapport a pour objectif de brosser un portrait quantitatif des décès dans les prisons provinciales, entre les années 2009...
Portrait des reprises de logement au Tribunal administratif du logement en 2021 : De la demande à la décision
En octobre 2023 est publié le rapport Portrait des reprises de logement au Tribunal administratif du logement en 2021 : De la demande à la décision, issu du projet Reprises de logement, soutenu par l’Observatoire des profilages.
Depuis plusieurs années, les comités logement et associations de locataires au Québec dénoncent la pratique des reprises de logement qu’ils considèrent comme un moyen pour évincer les locataires et augmenter le prix des loyers.
Méthodologie
L’équipe de recherche a d’abord interrogé la base de données de décisions judiciaires à partir de la plateforme SOQUIJ pour y recenser les décisions qui contiennent les mots-clés « reprise de logement » pour l’année 2021, ce qui nous a permis de télécharger autour de 1600 décisions. Pour chacune des décisions, nous avons consigné dans une base de données les informations suivantes : la date de l’audience, le bureau du TAL en question, le nom du juge, les noms des propriétaires et des locataires (ainsi que le nom des avocats ou représentants, le cas échéant), le montant du loyer, le montant à payer suite à la décision et la décision ellemême. Nous avons effectué des observations d’audience lors de l’automne 2022 et l’hiver 2023
Résultats
- Les reprises de logement, depuis une dizaine d’années, sont en constante augmentation, passant d’autour de 800 demandes en 2014 à plus de 2500 en 2022. Ces statistiques ne représentent qu’une partie du phénomène puisqu’elles constituent seulement les demandes introduites au TAL, c’est-à-dire celles pour lesquelles la demande a été refusée par le locataire.
- Les principaux bénéficiaires de ces demandessont les propriétaires eux-mêmes (48 %) et dans une moindre mesure leurs enfants (31 %). Dans 186 cas, les propriétaires ou des membres de leur famille occupaient déjà un logement dans l’immeuble où le logement désiré est situé. Dans 139 de ces cas, la reprise a été autorisée.
- Les logements repris sont moins chers que le marché (400 $ de moins par mois), assez grands (au moins deux chambres), avec des locataires qui y habitent depuis plus de 5 années. De plus, la grande majorité des logements en question se trouvaient dans les quartiers centraux de la région métropolitaine de Montréal.
- L’analyse montre que dans plus de 50 % des cas (655 acceptations), le TAL accepte la reprise et il la refuse qu’une fois sur trois (396 demandes refusées). Si l’on ajoute les cas où il entérine les ententes (138), c’est près de deux tiers des demandes qui sont validées par le TAL pour une reprise de logement. Le tribunal agit ici comme confirmant l’essentiel des demandes et donne préséance au droit de propriété et à sa jouissance.
- La présence d’un avocat n’augmente pas de manière importante les chances des parties.
- Dans les décisions, les juges consignent très peu les arguments des locataires. Dans les 320 décisions où des arguments ont été consignés par le juge, deux arguments reviennent constamment : « Locataire mentionne que la reprise est une éviction déguisée » (223 occurrences); et, « Locataire mentionne que la reprise est due à un litige » (84 occurrences). Dans plus de la moitié des cas, les demandes sont tout de même autorisées.
- À partir d’observations que nous avons effectuées au TAL, nous n’avons pas été témoins de la partialité des juges. Toutefois, c’est dans la manière dont le processus de l’audience se déroule et dansle fonctionnement de l’institution que nous avons décelé des éléments qui peuvent engendrer des impressions de partialité.
- Trois éléments ressortent : les juges favorisent la signature d’une entente, ce qui mène à davantage de reprises, les juges sont davantage sensibles aux arguments économiques des propriétaires par rapport à ceux des locataires, et les juges sont conciliants avec les propriétaires concernant la procédure comme par exemple, l’introduction de documents en preuve.
Conclusion
- L’analyse des décisions de 2021 démontre plusieurs éléments qui pointent vers l’hypothèse de traitement favorable aux propriétaires par l’institution et par conséquent défavorable aux locataires.
- Dans un premier temps, les logements repris sont moins chers que le marché (400 $ de moins par mois), assez grands (au moins deux chambres), avec des locataires qui y habitent depuis plus de 5 années. De plus, la grande majorité des logements en question se trouvaient dans les quartiers centraux de la région métropolitaine de Montréal. L’analyse montre aussi que près de deux tiers des demandes sont validées par le TAL. Le tribunal agit ici comme confirmant l’essentiel des demandes et donne préséance au droit de propriété et à sa jouissance. La présence d’un avocat n’augmente pas de manière importante les chances des parties. En outre, dans les décisions, les juges consignent très peu les arguments des locataires. Dans les 320 décisions où des arguments ont été consignés par le juge, deux arguments reviennent constamment : « Locataire mentionne que la reprise est une éviction déguisée » (223 occurrences) ; et, « Locataire mentionne que la reprise est due à un litige » (84 occurrences). Dans plus de la moitié des cas, les demandes sont tout de même autorisées.
- En effet, le droit de propriété, mobilisé dans la demande de reprise, a plus de force auprès du TAL que le droit au maintien dans les lieux. Le fait qu’une majorité de demandes soit acceptée et que les arguments des locataires semblent peser moins dans la balance que le projet du propriétaire constitue un indicateur de cette inégalité de traitement. Les observations des audiences s’inscrivent dans la même logique où le processus judiciaire semble favoriser les propriétaires. En pleine crise du logement, il apparaît que le TAL n’arrive pas à défendre les locataires, en particulier ceux à faible revenu.
- Les données disponibles ne nous permettent pas d’aller plus loin afin d’analyser qui sont les locataires particulièrement visés par les reprises de logement. Ainsi, nous n’avons pas eu accès au statut socio-économique précis des locataires (les personnes sans emploi et prestataires de l’aide sociale sont-elles plus touchées que les autres?) ni aux données ethnoraciales (les personnes racisées sont-elles plus concernées par le phénomène?). Ces informations nous permettraient d’aller plus loin dans nos hypothèses de discrimination. C’est une des lacunes que nous espérons combler dans la suite de cette recherche.