Texte par Céline Bellot, professeure École de travail social, Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages, en réponse à l'article « La haute direction du SPVM a cautionné Gamma » paru dans Le Devoir le 4 novembre 2016. Voir l'article original...
Pour une commission d’enquête publique partagée sur la surveillance policière des journalistes et des activistes politiques
Déclaration commune diffusée à l’initiative de Pascal Dominique-Legault, candidat au doctorat au département de sociologie de l’Université Laval
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Pour une commission d’enquête publique partagée sur la surveillance policière des journalistes et des activistes politiques
Québec, le 16 novembre 2016
ATTENDU QUE la Charte des droits et libertés de la personne et le Code de déontologie policière du Québec interdisent, chacun à sa façon, les actes fondés sur des convictions politiques;
ATTENDU QU’en juillet 2015, La Presse et Le Devoir révélaient que des documents internes de prise de décision problématiques du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) contenaient des détails qui laissaient croire à du profilage politique dans la mise en place de son projet GAMMA (Guet des activités des mouvements marginaux et anarchistes);
ATTENDU QU’une étude parue et une seconde étude à paraître de ces documents internes, concluent notamment que malgré qu’on ait légitimé GAMMA comme s’attaquant seulement à des « crimes » au SPVM, sa mise en place et ses moyens policiers ont également été fondées sur une problématisation de convictions politiques spécifiques (comme le positionnement antiautoritaire de groupes);
ATTENDU QUE d’autres documents internes du SPVM obtenus, révélés le 4 novembre dernier, par Le Devoir, démontrent que la haute direction du SPVM (son comité de direction de la Direction des opérations) a cautionné et autorisé le projet GAMMA en avril 2010 à partir de ces mêmes documents problématiques, et ce, à un point tel de décider d’y affecter des ressources d’enquête et de gendarmerie;
ATTENDU QUE cinq ans après la révélation publique de l’existence de GAMMA, au moins quatre plaintes officielles ont été déposées à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et au Commissaire à la déontologie policière et que celles-ci n’ont jamais atteint le stade du déclenchement d’une seule enquête;
ATTENDU QUE la présente crise de confiance envers la police est alimentée par l’inaction des autorités politiques qui ne sont pas intervenues jusqu’à présent pour gérer ces sérieuses allégations de profilage politique;
ATTENDU QUE le gouvernement du Québec a annoncé, le 3 novembre dernier, qu’il instituera une commission d’enquête publique sur la liberté de la presse, y compris la protection des sources journalistiques, et l’indépendance des pouvoirs politiques, policiers et médiatiques;
ATTENDU QUE le Journal de Montréal révélait, le 1er novembre, qu’un membre de l’état-major du SPVM s’est adressé à une cinquantaine de hauts gradés du SPVM en avril dernier en lançant à ses collègues le mot d’ordre sans équivoque de la nécessité de « briser la culture du coulage » au SPVM. Et, le lendemain, La Presse révélait, dans l’affaire de la surveillance des journalistes par les policiers de la Sûreté du Québec, que l’ancien ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, avait demandé au Directeur général de la SQ de l’époque, Mario Laprise, des comptes sur les fuites de l’enquête « Diligence ». Et que, le 7 novembre, La Presse révélait, dans l’affaire de la surveillance policière du journaliste Patrick Lagacé, que ce dernier aurait été enquêté et surveillé par la police suite à une fuite concernant un constat d’infraction impliquant l’actuel maire de Montréal, Denis Coderre, qui aurait communiqué directement avec le chef de police de l’époque, Marc Parent;
ATTENDU QUE ces événements posent, tout comme l’affaire GAMMA (sanctionnée par la haute direction du SPVM), la question commune de l’autorisation ou du cautionnement (plus ou moins actif et formel) de cibles de surveillance inappropriées, vraisemblablement illégales, discriminatoires et dérogatoires (allant des journalistes, aux mouvements marginaux et anarchistes), et ce, aux plus hautes instances des corps policiers québécois et, dans certains cas, des instances politiques;
ATTENDU QU’il n’existe toujours pas une volonté des autorités qui contrôlent les opérations policières d’acquérir la connaissance et l’information sur la nature des opérations justement nécessaires pour un contrôle efficace des opérations policières (Rapport Keable, 1981);
ATTENDU QU’il n’existe toujours pas de mécanismes de contrôle des opérations policières québécoises indépendants et continus qui permettent d’efficacement surveiller les opérations policières, en temps réel et opportun, dans les domaines où les citoyens sont le plus susceptibles d’être lésés (les enquêtes policières, le renseignement, la lutte antisubversive, les mesures d’urgence, le contrôle des foules, etc.) (Rapport Keable, 1981);
ATTENDU QUE nous dénonçons toute criminalisation et stigmatisation de la dissidence et de nos opinions, comme nous dénonçons toute forme de profilage politique, social et racial;
Nous, soussignés, demandons au gouvernement du Québec :
D’élargir le mandat de la commission d’enquête publique qui sera instituée sur la surveillance policière des journalistes au Québec afin qu’il porte également sur la surveillance des activités politiques des mouvements perçus marginaux et anarchistes sur la base des moyens policiers adoptés dans le cadre de la problématisation de convictions politiques cautionnée et autorisée par la haute direction dans le projet GAMMA;
De s’assurer qu’un volet de la commission d’enquête publique aborde les processus plus larges de cautionnement et d’autorisation de ces cibles inappropriées et, vraisemblablement illégales, discriminatoires et dérogatoires (des journalistes jusqu’aux mouvements marginaux et anarchistes), et ce, aux plus hautes sphères;
De s’assurer qu’un volet de la commission d’enquête publique aborde et recommande des mécanismes de contrôle des opérations policières québécoises indépendants et continus, pour protéger les citoyens qui sont le plus susceptibles d’être lésés par les opérations policières québécoises, et ce, tant les journalistes, les activistes politiques, les mouvements marginaux et anarchistes, que les gens susceptibles d’être victimes de profilage ponctuel ou systémique;
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Cosignataires de la déclaration
Organisations
Association des juristes progressistes (AJP)
Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP)
Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC-Montréal)
Fédération de la CSN-Construction
Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)
Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE)
Secours Rouge du Canada (section Québec)
Table régionale des organismes communautaires de la Montérégie (TROC-M)
Individus
André C. Drainville, professeur de sociologie à l’Université Laval
Céline Bellot, professeure de service social à l’Université de Montréal, Directrice de l’Observatoire sur les profilages racial, social et politique
Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM, membre de l’Observatoire sur les profilages.
Marco De Fabrizio, président du C.A, L’En-Droit de Laval
Marcos Ancelovici, professeur de sociologie à l’UQAM, Chaire du Canada de recherche en sociologie des conflits sociaux.
Marie-Hélène Arruda, coordonnatrice du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE)
Michel Seymour, professeur de philosophie, Université de Montréal.
Pascale Dufour, professeure de science politique à l’Université de Montréal, membre de l’Observatoire sur les profilages.
Rémi Bachand, professeur de sciences juridiques, UQAM.
Samir Shaheen-Hussain, MD CM, FRCPC, professeur de médecine, Université McGill, clinicien, Division of Pediatric Emergency Medicine, Hôpital de Montréal pour enfants.
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